Blagues, drôleries ou encore “ hollanderies ”, hommes et femmes politiques sont friands de petites phrases. Si l’humour peut être vu comme une arme de séduction et de persuasion, en politique néanmoins, le retour de bâton n’est jamais bien loin.
« Ça me fait très plaisir et ça montre que l’on peut gagner quelque chose à Matignon ». Mardi 9 avril, Édouard Philippe s’est vu décerner le grand prix du jury de l’humour politique pour son sens de la répartie. Une récompense attribuée par le Press Club de France au Premier ministre qui, alors qu’on lui demandait si tout remontait à Matignon, avait répondu « non seulement, les emmerdes … » Bien qu’absent, le lauréat a néanmoins enregistré une courte vidéo avec le journaliste Olivier Galzi, présentateur pour l’occasion, où il a fait l’éloge de l’autodérision. L’humour en politique n’est pas si inoffensif. À plein d’égards la maîtrise du bon mot est une arme que nombre des politiciens auraient besoin d’avoir. Décernant ce prix depuis 1998, la soirée du Press Club s’est ouverte sur un discours du député Santini, connu pour être « l’humoriste du monde politique » selon la presse.
De Charles de Gaulle à Benjamin Griveaux : l’humour séduit, persuade ou même protège
« Là où il y a un homme politique qui ne sait pas rire, il y a un danger ». Dans son bureau de l’Assemblée nationale, Jean Lassalle député des Pyrénées Atlantiques prône l’humour comme une nécessité. En politique, le rire est une arme de séduction incontournable. Selon Damien Arnaud, président du cercle des communicants et des journalistes francophones, « l’humour humanise le politique avec un côté sympathique et crée de la proximité entre lui et les citoyens. L’homme ou la femme politique devient une personne comme les autres ». Le rire parle donc à l’assemblée et la rend réceptive aux discours qu’il supporte. Avec lui, l’orateur descend de son piédestal et se rapproche du public. En 1958, alors que son retour était perçu par certains politiques comme une menace démocratique, Charles de Gaulle a marqué les esprits. Alors qu’un journaliste lui posait une question sur son idée du pouvoir, il répondit : « Pourquoi voulez-vous qu’ à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? » Salle hilare, journaliste se rassoit, le politicien a réussi. Toutes les occasions s’y prêtent constate Victor Hunckler, finaliste du concours de plaidoiries de Lyon III : « L’humour a la faculté de pouvoir s’intégrer dans tous les scénarii, on en retrouve même dans les éloges funèbres ».
L’humour persuade. La pointe bien sentie marque l’auditoire et permet d’aiguiller son attention. Benjamin Griveaux, lauréat du prix de l’encouragement du Press Club l’a bien compris. Il s’amuse de l’assaut de son ministère par des Gilets jaunes : « On a eu un début d’année Rock & Roll, moi j’ai eu une journée porte ouverte ». Élégant euphémisme pour une porte enfoncée qui permet de dénoncer la violence avec plus de subtilité. Si le politicien LaREM obtient sa nomination au sein du Press Club, c’est une scène supplémentaire pour parler de ces manifestations. « Mais les politiciens vont utiliser ces blagues là pour avoir des One Liner (ndlr: phrases chocs) qui vont être repris dans les médias ou les réseaux sociaux » d’après Julie Dufort, enseignante-chercheuse de l’humour politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les résultats de Philippe Poutou, candidat NPA aux présidentielles de 2017 sont éloquents. Après qu’il ait moqué ses opposants comme François Fillon ou Marine Le Pen pour leurs affaires, son passage plein d’humour au débat du premier tour a multiplié par quatre les intentions de votes en sa faveur, passant de 0,5 à 2% (Ifop).
“ L’humour c’est une manière de décrédibiliser ses adversaires ”
« Les gens drôles essaient d’éviter les questions directes. Ils répondent par une blague pour ne pas répondre à la question » explique Jean-Michel Apathie, journaliste politique d’Europe 1, très observateur. L’humour est également un bouclier pour protéger l’orateur. Au moment de la remise des prix : Benjamin Griveaux commence par parler de Laurent Telo un journaliste qui faisait un portrait désagréable pendant que certains Gilets Jaunes enfonçaient les portes de son ministère. Il profite de l’occasion pour se défendre d’un journaliste : « J’étais avec Laurent Telo qui faisait un portrait de moi éminemment sympathique pour M le Monde (magazine). Je sens que cet épisode n’a pas attendri sa plume acérée ». L’ancien porte-parole sachant pertinemment que le portrait allait être à charge, use d’humour pour désamorcer une situation embarrassante, laissant sous-entendre que le journaliste aurait pu être plus bienveillant au regard du contexte. Confirmé par Philippe Moreau-Chevrolet, conseiller en communication politique : « L’humour est aussi une stratégie d’évitement. On est très agressif avec quelqu’un mais sans lui laisser la possibilité de répondre. Par exemple, lorsque Jean-Luc Mélenchon compare François Hollande à un capitaine de pédalo ». Selon lui, François Hollande est l’une des figures politiques qui utilise l’humour comme arme de défense et d’attaque puisque « c’est quelqu’un qui manie beaucoup l’humour et c’est une manière pour lui de décrédibiliser ses adversaires sans être dans un affrontement direct ». Cependant, il en a fait les frais lorsque Laurent Fabius l’a surnommé « fraise tagada » et a été tourné au ridicule : « l’humour peut tuer quelqu’un » conclut P. Moreau-Chevrolet.
L’humour en politique reste un art exigeant
« Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent ». Avec ce trait d’humour malvenu, le président Emmanuel Macron alors fraîchement élu s’embourbe dans une polémique et finit par présenter ses excuses quelques jours plus tard. Pour cause, les embarcations de fortune que sont les kwassas-kwassas ont emmené entre 7000 et 10 000 comoriens à la mort sur le chemin de Mayotte depuis 1995. Pour Yanis Khalifa, militant politique MoDem « l’humour dans le monde politique, c’est quitte ou double ! Il est rare qu’une blague laisse le public indifférent. Tout dépend à la fois du contexte, de la blague et des talents de l’orateur ».
En plus d’un contexte, l’humour politique demande un personnage. Selon Philippe Moreau Chevrolet : « Un politique se forge une image et dans une situation donné peut faire de l’humour » Emmanuel Macron par exemple, incarnant une figure trop élitiste ne peut se lancer à faire de l’humour au risque d’être pris au premier degré et d’avoir une image d’arrogant. À l’opposé de l’élite, des personnages trop clownesques peuvent éloigner le public. La République en Marche a ainsi poussé le député de Suisse et du Liechtenstein Joachim Son-Forget vers la sortie. La raison ? Un compte Twitter trop rieur. Trop libre pourrait rectifier l’intéressé qui déclare : « Quand il y a uniquement le bien pensant qui incarne la pensée unique, le seul moyen de la détourner, c’est la satire ».
Florian Wieckowski, militant politique juppéiste, émet une réserve : « l’humour peut renvoyer l’image de quelqu’un de non sérieux donc incompétent. Chacun a son humour, et une mauvaise compréhension d’une blague peut desservir ». Savoir faire rire est une chose, encore faut-il que ça ne prennent pas toute la place du discours. Même le Mouvement 5 étoiles formé par un humoriste, Beppe Grillo, présente un programme social pour atteindre le succès électoral aux législatives italiennes de 2018. Pour Jean-Michel Apathie, l’humour est une gymnastique intellectuelle, qui parfois peut desservir : « Si un homme politique fait un discours et glisse une blague maladroite, le discours n’est plus écouté ». Par exemple, lors du débat du second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, en 2017, la candidate du Front National (RN aujourd’hui) n’avait pas hésité à placer une phrase humoristique dans un discours structuré, tout en se lançant dans étrange imitation: « Ils sont là, dans les campagnes, dans les villes ». Cette parole était alors un flop et la dirigeante RN dégringola dans les sondages, à quelques jours de l’élection présidentielle.
Lors de la soirée du prix Press Club d’Humour Politique, André Santini rappelle l’assistance médiatique et politicienne à ne pas se prendre trop au sérieux. Rappelant avec esprit la plus grande comédie auquel chaque invité se prête : « À tous mes collègues élus, réjouissons nous d’être les dindons d’une farce en perpétuel recommencement qu’on appelle la démocratie ».
En collaboration avec Gabriel Thibeau, Arthur Delicque et Victor Blanc